dimanche 27 novembre 2011

Géorgie : Un épisode grossier de la guerre de l'information

Par Fabrice Nodé-Langlois le 12 septembre 2008 16h00 | http://blog.lefigaro.fr/russie/

La guerre de Géorgie, a été le théâtre d'une formidable guerre de l'information comme le racontait Laure Mandeville dans Le Figaro dès le 13 août.

Retour sur un épisode, l'histoire Fox News, qui a fait florès sur le "runet", l'internet russe, la télévision russe et jusque dans la bouche de Vladimir Poutine.

Première étape: le témoignage d'Amanda. Le 13 août, la chaîne de télévision américaine Fox News interroge en direct Amanda Kokoeva, une fille de 12 ans qui vit à San Francisco. Le 8 août, Amanda était en vacances dans sa famille en Ossétie du sud quand les Géorgiens ont attaqué. Elle a pu s'enfuir vers la Russie, puis regagner San Francisco, d'où elle parle, aux côtés de sa tante.

Amanda, très vite, explique que ce sont les bombes géorgiennes qu'elle a fui. Et que les soldats russes l'ont aidée à s'enfuir. Sa tante enchaîne: "Je veux que vous sachiez qui est le responsable de ce conflit, c'est M. Saakachvili (le président géorgien) qui a commencé cette guerre". Là-dessus, le présentateur l'interrompt, en s'excusant, pour introduire une page de publicité. La tante a le temps de protester: "Je sais, vous ne voulez pas entendre cela". Après la pause, le présentateur accorde encore trente secondes à la tante qui précise que c'est le gouvernement géorgien, pas le peuple géorgien qui est en cause, et que le président géorgien doit démissionner. Le présentateur conclut: "C'est certainement ce que les Russes veulent".



Deuxième étape: la dissémination sur la Toile. Le jour même, 13 août, la vidéo est publiée sur le site YouTube. Pour les internautes russes ou pro-russes, il ne fait aucun doute que Fox News, chaîne notoirement proche de l'administration Bush, a essayé de faire taire ces deux témoins qui disaient la vérité.



Troisième étape: la manipulation grossière. La version originale n'est sans doute pas assez convaincante. Aussi, quelqu'un (j'ignore évidemment qui) se livre à un montage. Le son d'une toux est ajouté, comme si le présentateur cherchait à couvrir la voix de la tante. Puis vers la fin, une voix-off en anglais est ajoutée, criant le compte-à-rebours: "10 secondes!" Comme s'il s'agissait encore de couvrir la voix du témoin et de le déstabiliser. Enfin, dans la traduction russe, le présentateur ne dit pas: "C'est que ce que les Russes veulent" (à propos de la démission de Saakachvili) mais "C'est ce que les Russes veulent entendre". Sous-entendu: ma bonne dame, vous êtes en train de faire la propagande éhontée des Russes.



Cette version truquée est ensuite diffusée par la chaîne publique Rossia, et la chaîne d'information continue Vesti 24. Et va à nouveau se démultiplier sur Internet.



Quatrième étape: Poutine amplifie encore l'histoire. L'histoire ne s'arrête pas là. Le 28 août, Vladimir Poutine accorde une interview à CNN (le transcript, en anglais, sur le site de CNN. Pour trouver le paragraphe en cause, vous pouvez faire Ctrl+F puis taper "cough", toux en anglais). Le premier ministre russe déclare que la perception de l'opinion dépend des manipulations des politiciens puis: "Souvenons-nous par exemple, de l'interview de cette fille de 12 ans avec sa tante" (...) Le présentateur d'une des chaînes principales, Fox News, l'interromptait tout le temps (...). Dès qu'il n'a pas aimé ce qu'elle a dit, il a commencé à l'interrompre, il a toussé, sifflé, couiné. Tout ce qui lui restait à faire était de faire dans son pantalon, de façon suffisamment expressive pour les interrompre. C'est la seule chose qu'il n'a pas faite, mais au sens figuré, il était dans cet état".



Commentaire. En Russie, la version que tout le monde retient, y compris donc, le premier ministre, est qu'un présentateur américain a grossièrement toussé pour couvrir le témoignage d'une fillette et d'une dame parce qu'elles s'en prenaient à Saakachvili, parce qu'elles disaient la vérité.

La journaliste Ioulia Latynina s'est émue dans le journal Novaïa Gazeta (8 septembre) de cette grossière falsification. Elle s'étonne que Poutine en soit victime. Dans cette guerre, bien sûr, il y a eu de la propagande et des sujets très partiaux des deux côtés. Cet épisode illustre néanmoins jusqu'où certains cercles, au sein du pouvoir russe, sont capables d'user de grosses ficelles pour diaboliser les Américains et faire prévaloir leur vision de l'histoire.

Personnellement, vus les propos qu'il a tenus sur CNN, j'estime que Vladimir Poutine n'est pas ici victime mais bel et bien acteur de cette désinformation.



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Par Fabrice Nodé-Langlois le 12 septembre 2008 1h05

Géorgie: un petit "incident" estival
"Je pense que c'est seulement un incident". C'est ainsi que Silvio Berlusconi, sans doute le plus "poutinophile" parmi les dirigeants des Vingt-Sept, a qualifié mercredi la guerre de Géorgie. "Un incident, pas quelque chose qui va ramener l'Europe et le monde à l'époque de la guerre froide".

Silvio Berlusconi a peut-être raison pour l'avenir, mais dans l'immédiat, l'"incident" a sérieusement bouleversé les relations internationales, redessiné la carte de l'Europe sans même parler des victimes, morts, blessés, déplacés.



Ce blog a passé jusqu'à présent l'"incident" sous silence. Dans un premier temps pour cause de pause estivale, puis parce que, n'en déplaise aux lecteurs qui ont déploré cette trop longue absence, notre priorité est la version papier du Figaro. Laure Mandeville, co-auteur de ce blog, a passé une grande partie du mois d'août sur le terrain, en Géorgie.

Ma précédente note, publiée fin juillet vous proposer de deviner où avait été prise les photos de station balnéaire. Comme plusieurs lecteurs l'ont trouvé, il s'agissait de Sotchi, la station russe à la mode sur les bords de la mer Noire. Sotchi qui doit accueillir en 2014 les Jeux olympiques d'hiver. Le parc olympique sera construit à dix minutes en voiture de la frontière avec ce qui est pour la communauté internationale la Géorgie, mais pour la Russie (et le Nicaragua, sic), la république indépendante d'Abkhazie...

Sotchi qui est aussi la capitale d'été des tsars d'aujourd'hui, comme Key West en Floride le fut pour le président américain Truman. Sotchi, où Vladimir Poutine doit recevoir dans une semaine son homologue français François Fillon, officiellement pour parler économie. Presque comme si c'était "business as usual" comme on dit en bon français "corporate". Comme si cet été, il ne s'était passé qu'un "incident".

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