mercredi 7 décembre 2011

Après la disparition de Ben Laden l'homme le plus recherché de la planète c'est Ratko Mladic le second sur la liste des fugitifs qui vient de tomber

Ratko Mladic a été arrêté jeudi 26 mai 2011 après seize ans de cavale. En 2006, le journaliste Jacques Massey analysait, dans son livre Nos chers criminels de guerre, l'attitude ambiguë des autorités serbes sur le cas du chef militaire. Pour Le Monde.fr, il détaille les protections dont Mladic bénéficiait depuis 1995.

Après la signature des accords de Dayton, le 14 décembre 1995, Ratko Mladic vit en République serbe de Bosnie, où se trouvent des troupes de l'OTAN. Pourquoi n'est-il pas arrêté ?

Ratko Mladic est contre les accords de Dayton, qui lui sont imposés. Il sent qu'après le massacre de Srebrenica, le pire pèse sur lui. Il a déjà été inculpé une première fois par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY). C'est ce qui fait qu'entre le massacre, en juillet 1995, et la conclusion des accords, il fait déterrer tous les cadavres de Srebrenica, enterrés dans quatre ou cinq charniers. Les corps sont ensuite dispersés dans une centaine de nouveaux charniers, plus petits, tout autour de la zone d'exercice de la brigade serbe à l'origine du massacre. Mladic est dans cet état d'esprit à l'époque. Ce qui fait que lorsque les pilotes français qu'il détient sont libérés fin 1995, il cherche à s'assurer une respectabilité, en serrant la main du chef d'état-major français, le général Douin. Une respectabilité dont il croit pouvoir profiter pour conserver son impunité après 1995.


Entre 1996 et 1997, il bénéficie de cette tolérance. Il vit à Han Pijesak, un complexe militaire totalement imprenable, à quarante kilomètres de Saravejo, en République serbe de Bosnie. D'une certaine manière, c'est lui qui est le garant du respect des accords de Dayton en République serbe de Bosnie et du fait que les unités militaires serbes n'ouvrent pas le feu dès qu'elles voient un convoi de l'OTAN. Pour toutes ces raisons, Mladic n'est pas une cible, tout comme les autres criminels de guerre. A cette époque-là, c'est lui qui se protège lui-même, du fait de son statut.

Il quitte la Bosnie serbe à la fin des années 1990 pour se rendre en Serbie. Qu'est-ce qui motive ce déplacement ?

A partir de 1998, les principales nations de l'OTAN qui sont en Bosnie serbe s'aperçoivent que le maintien au pouvoir des criminels de guerre recherchés n'est plus un facteur d'apaisement mais, au contraire, un facteur de tensions qui bloque l'application des accords. Ils vont commencer à les poursuivre. A ce moment-là, Mladic prend le large. On retrouve sa trace à Belgrade. Slobodan Milosevic est toujours au pouvoir et de fait, Mladic est protégé par l'Etat, qui lui paye sa retraite. Il est aperçu à quelques reprises, et notamment une fois lors d'un match de football dans le grand stade de Belgrade. Il participe à des cérémonies. Bref, il laisse des traces.

Pourquoi Slobodan Milosevic le protège-t-il ?

Il le protège à la fois parce qu'il est considéré comme un héros national et parce que Mladic, c'est le trait d'union entre Milosevic et la République serbe de Bosnie tout au long de cette guerre. Au début de la guerre, il a été nommé par Belgrade à la tête de l'armée bosno-serbe. Pendant le conflit, Ratko Mladic était aux ordres de l'autorité politique de République serbe de Bosnie, c'est-à-dire de Radovan Karadzic, mais également de l'Etat serbe, dirigé par Milosevic. Donc, en le protégeant, Milosevic se protège.

Slobodan Milosevic est renversé en 2000. De 2001 à 2003, le gouvernement serbe est dirigé par Zoran Djindjic, un dirigeant de l'opposition à Milosevic, qui est assassiné en 2003. Est-ce que cela a un rapport avec la traque de Mladic ?

Il n'y a pas de preuve. Mais parmi les diplomates et les services occidentaux, certains pensent que Zoran Djindjic est assassiné au moment où il se prépare à essayer de livrer Mladic et que c'est l'un des facteurs qui a pesé dans l'assassinat. Il avait commencé à évoquer cette arrestation avec ses interlocuteurs occidentaux.

En 2003, l'OTAN tente de l'arrêter en Bosnie mais échoue. Pourquoi ?

Je ne crois absolument pas aux tentatives de l'OTAN d'arrêter Mladic en Bosnie parce que je ne suis pas certain qu'il soit en Bosnie à cette époque-là. Mais cela permet à l'OTAN de montrer qu'elle s'active. En revanche, dès cette époque, une bonne partie de l'état-major de Mladic a été arrêté, déféré devant le TPIY et commence à être jugé.

Zoran Djindjic est remplacé par Zoran Zivkovic, qui perd les élections fin 2003. Vojislav Kostunica devient premier ministre. Comment est traité le cas Mladic par le gouvernement Kostunica ?


Kostunica, une fois nommé, charge Rade Bulatovic, un survivant de l'ère Milosevic et le futur chef des services secrets serbes (BIA), de coordonner les dossiers de sécurité et l'arrestation de Mladic. En fait, Bulatovic est au four et au moulin : il constitue un groupe chargé de la traque, mais, en même temps, il parraine les structures qui permettent à Ratko Mladic de se cacher. Les choses doivent être sans doute cloisonnées, mais chaque fois que le groupe chargé de l'arrestation avance, les autres sont prévenus de ses avancées. Cela fonctionne de cette manière jusqu'en 2008. Vojislav Kostunica ne veut pas livrer Mladic pour des raisons idéologiques, et pragmatiques, parce qu'il a besoin du soutien des nationalistes. Mais en même temps, il essaye de donner le change.

Dans votre livre, vous mentionnez un événement qui reste toujours inexpliqué : l'assassinat de deux soldats serbes, à l'entrée d'une caserne. Pouvez-vous expliquer quel peut-être le rapport avec Ratko Mladic ?

Cela se passe le 5 octobre 2004, dans une caserne d'un régiment de la garde, à l'extérieur de Belgrade. A 9 heures du matin, les deux soldats qui gardent l'entrée sont liquidés. Il n'y a pas eu d'effraction ni de vol. Ils ont vraisemblablement été témoins de choses qu'ils ne devaient pas voir et on a décidé de les éliminer. Certains pensent que ces garçons avaient été témoins d'un transfèrement de Mladic d'un lieu à un autre. Mais c'est une chose qui n'a jamais été éclaircie.

Le 21 juillet 2008, Radovan Karadzic, le chef politique des serbes de Bosnie, est arrêté. Qu'est-ce qui explique le changement d'attitude des autorités serbes ?

En 2008, Kostunica est écarté et c'est une alliance entre les socialistes et les libéraux qui arrivent au pouvoir. Boris Tadic, président depuis 2004, reprend en main l'Etat serbe et charge les services secrets de récupérer Mladic et Karadzic. Ils font arrêter Karadzic. Si on compare avec la séquence actuelle, ils le font arrêter au moment où il y a un enjeu européen fort, à la veille de la signature de l'accord d'association.

A la différence de Kostunica, Tadic est convaincu qu'il faut arrêter Mladic. C'est à ce moment-là que la structure qui protège Mladic – une structure qui était cautionnée par Rade Bulatovic –, se modifie. Mladic revient sur un réseau beaucoup plus resserré, composé de membres de sa famille et de quelques amis. Ensuite, tout au long des années 2008-2010, l'influence de ses soutiens diminue. Cela s'explique à la fois parce que ses alliés vieillissent et ne sont plus en fonction mais également parce qu'une nouvelle génération s'installe au ministère de l'intérieur et dans les services [Après le départ de Kostunica, Rade Bulatovic est remplacé à la tête du BIA par Sacha Vukadinovic]. De fait, la porosité entre ses soutiens et l'Etat n'est plus aussi forte.

En décembre 2010, l'un de mes interlocuteurs me disait que les autorités serbes avaient donné l'assurance qu'elles allaient tôt ou tard l'arrêter. Elles l'avaient localisé et elles attendaient le meilleur moment possible, ce qui est cohérent avec ce qui se passe aujourd'hui. Après, elles le lâchent à un moment où il est presque grabataire. Elles ont attendu le dernier moment.

Au cours de sa cavale, Ratko Mladic a-t-il bénéficié de protection étrangère ?

A une époque, le bruit a couru qu'il avait été transféré en Russie ou en Biélorussie. Mais cela n'a jamais été prouvé. La vraie complicité des puissances étrangères se situe entre 1995 et 1997. Personne n'avait intérêt à aller le chercher parce qu'à l'époque, c'est un interlocuteur incontournable. C'est la même chose qu'entre Richard Holbrooke, le diplomate américain qui a négocié les accords de Dayton, et Radovan Karadzic. Quand vous négociez avec quelqu'un, vous n'allez pas lui faire la peau dans la minute qui va suivre.

Enfin, si Mladic avait été pris beaucoup plus tôt, c'est un facteur qui aurait pu peser dans la mise en cause de la Serbie dans la guerre de Bosnie, puisqu'il était un officier payé par l'armée serbe. Du coup, cela aurait pu influencer toutes les négociations sur les dommages de guerre. Le fait de ne pas l'arrêter évite de se poser ces questions. Aujourd'hui, elles ont été arbitrées et personne ne reviendra en arrière. Stabiliser la Serbie en lui évitant une dette monstrueuse était un impératif. S'il y a eu une duplicité des puissances étrangères, elle se situe là.

Propos recueillis par Thomas Baïetto

source: lemonde.fr

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REPORTAGE - Le Boucher de Srebrenica vivait incognito chez un cousin. Les voisins font bloc.

Affalés sur leurs chaises de camping, à l'ombre d'un marronnier, les quatre vieillards observent, mi-amusés, mi-agacés, l'agitation irréelle qui s'est emparée de leur rue d'habitude si paisible. À quelques pas, une nuée de journalistes, caméras à l'épaule, s'évertuent à filmer d'innocents riverains bêchant leurs jardins potagers, les harcelant de questions face à des policiers désœuvrés et sans autre consigne apparente que de surveiller les abords de la désormais célèbre «maison jaune». Celle qui abritait l'ennemi public numéro un, le général Ratko Mladic, principal artisan du massacre de Srebrenica, en Bosnie (8 000 musulmans assassinés en 1995), en cavale depuis seize ans, jusqu'à ce que les forces spéciales y mettent fin jeudi aux premières lueurs de l'aube.

Vendredi matin, le petit bourg de Lazarevo s'est réveillé hébété, pas vraiment ravi de sa récente célébrité. Tous les regards se tournent vers une modeste bâtisse aux flancs défraîchis, dissimulée derrière une haie d'acacias et de cerisiers en fleur. Sur le portail en fer forgé vaincu par la rouille, deux initiales, «M. D», semblent révéler le patronyme des propriétaires : Mladic. Son occupant officiel, Branko Mladic, a été arrêté en même temps que son illustre cousin, qu'il hébergeait incognito. «Branko n'a rien à voir dans tout ça, s'emporte Andjelko Tomic, 65 ans, le teint hâlé, dressé sur sa bicyclette. Tout le monde vous le dira.»

Comme les autres riverains, Andjelko ne croit pas une seconde à la théorie de la «planque» de Mladic à Lazarevo. «Il n'a pas passé plus de deux jours ici, croyez-moi, s'emporte-t-il. C'est un petit village sans histoires. On l'aurait tout de suite remarqué !» Même son de cloche auprès de la patronne d'une quincaillerie toute proche, du garagiste importuné dans son établi, du jardinier municipal affairé à réparer sa tondeuse : l'arrestation de Mladic aurait été savamment orchestrée à l'avance, le village de Lazarevo choisi pour jeter en pâture le bourreau de Srebrenica à la justice internationale, avec la complicité d'un gouvernement serbe forcément «corrompu».

Deux pistolets à la ceinture
Peu importe que la police serbe ait mené quatre raids distincts dans les diverses résidences de la famille Mladic. La théorie du complot a la vie dure. Mladic est resté populaire chez les Serbes, surtout à Lazarevo, où une bonne partie des 3000 habitants est constituée de réfugiés venus de Croatie, de Bosnie et du Kosovo. Son statut de «héros sacré» de la patrie reste largement intact parmi les anciens réfugiés, à l'heure où les autorités serbes le traitent comme un fardeau encombrant.

Le silence et la colère froide des habitants de Lazarevo contrastent avec le soulagement ressenti à 80 km de là dans la capitale, Belgrade. Jeudi soir, un cortège de klaxons a accompagné la nouvelle de son arrivée au tribunal spécial pour les crimes de guerre. «Tout le monde est franchement heureux, explique Milos, patron du café OUR Bar, rue Beogradska. Il y a un ras-le-bol général de la misère et de cet isolement international qui n'en finit pas.»

Après la mort subite de l'ancien président Slobodan Milosevic en 2006, l'arrestation de l'ex-chef des Serbes de Bosnie Radovan Karadzic en 2008, la fin de cavale de Mladic laisse augurer des jours meilleurs pour la Serbie, pour laquelle les portes de l'Union européenne pourraient enfin s'entrouvrir. Le fugitif lui-même n'a plus grand-chose à voir avec le fier-à-bras en uniforme qui plastronnait face aux caméras de télévision du monde entier lors du siège de Sarajevo ou la prise de Srebrenica, narguant Casques bleus et troupes de l'Otan.

Arrêté avec deux pistolets à la ceinture, Mladic n'aurait opposé aucune résistance lors de sa capture jeudi matin. Le bras droit paralysé par un accident vasculaire cérébral, les traits méconnaissables, il est apparu au tribunal de Belgrade flanqué de deux policiers, une casquette vissée sur la tête. À 69 ans, Ratko Mladic serait déjà un vieillard affaibli, «en mauvais état physique et mental», assurent ses avocats, qui tentent d'obtenir son hospitalisation pour empêcher son transfert vers le Tribunal pénal international de La Haye (Pays-Bas).

«L'avocat de Mladic a reçu les documents d'extradition et il a jusqu'à lundi pour déposer un appel», a tranché le juge Maja Kovacevic, du tribunal spécial, à l'issue d'une ultime audition jeudi. Lundi, sauf avis médical contraire, Ratko Mladic devrait faire ses bagages pour la prison internationale de Scheveningen, emportant avec lui les derniers stigmates d'un cauchemar vieux de vingt ans.

source : lefigaro.fr

publié sur romandie blog le 27/05/2011 23:10

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