mercredi 19 octobre 2011

Les scientifiques en procès à l'Aquila

Vendredi 15 octobre

A L’Aquila, la science secouée


grand angleSept experts sont accusés d’homicide involontaire par des survivants du séisme qui a dévasté la cité italienne en 2009. Ouvert le 20 septembre, ce procès est une première dans l’histoire des catastrophes naturelles. Demain, audience des premiers témoins (16 octobre 2011).

Par DINO DIMEO Envoyé spécial à L’Aquila (Italie)

«Mais quand quelqu’un lèvera-t-il donc le doigt pour dire que, durant cette nuit du 6 avril 2009, quelque chose n’a pas fonctionné correctement ? » Giustino Parisse ressasse cette question depuis plus de deux ans. Dans le séisme qui fit 309 morts et un millier de blessés à L’Aquila et alentours, il a perdu ses deux enfants et son père. La cinquantaine, il reçoit en survêtement dans la véranda de son nouveau bungalow d’Onna, un petit village où la secousse tellurique de magnitude 6,3 survenue à 3 h 32 du matin a tué 29 personnes, 11% de la population. Aujourd’hui, il fait partie des centaines de personnes qui ont portéplainte contre les sept membres de la Commission aux risques majeurs, cinq scientifiques et deux responsables de la protection civile. Réunis six jours avant le drame, alors que la région était l’objet de secousses telluriques inhabituelles depuis décembre, accusés d’avoir mal évalué le danger, ils sont poursuivis pour «homicide involontaire». Leur procès s’est ouvert le 20 septembre à L’Aquila dans une salle comble. C’est la première fois dans l’histoire des catastrophes naturelles que des scientifiques sont ainsi mis en cause. «Je ne m’en prends pas à la science en tant que telle mais à une science qui ne fait pas bien son métier», explique calmement Giustino Parisse.

Cette nuit-là, Giustino était resté chez lui, rassuré comme tant d’autres habitants par les déclarations faites à l’issue de la réunion de la Commission «Grandi Rischi». En quelques secondes, la ville médiévale de L’Aquila et 56 communes des environs étaient dévastées. Malgré l’état d’urgencedécrété le 5 avril par le maire de L’Aquila, Massimo Cialente, l’impréparation était totale. Seuls 15 pompiers étaient de service pour couvrir la ville et ses environs. Aucun des édifices fragilisés par les précédentes secousses n’avait été évacué. Et lorsque le séisme final est survenu, les secours ont été paralysés : le Palazzo del Governo d’où ils devaient partir avait été totalement détruit. Plus de 65 000 personnes se sont trouvées à la rue. Le chef-lieu des Abruzzes, trésor d’histoire et de culture, est aujourd’hui une ville fantôme, un Pompéi moderne dont les touristes arpentent les artères principales.

Prédictions et mesures

Pour ce procès sans précédent, le juge Marco Billi a pris ses quartiers dans un palais de justice relogé au sein d’une ancienne caserne, en pleine zone industrielle de Bazzano, à 3 kilomètres à l’est de la ville. Les audiences se tiennent dans un préfabriqué fraîchement peint en bleu. Le juge espère aller vite, tout boucler en un an et demi. Pourtant, pas moins de 70 parties civiles ont été constituées, 300 témoins doivent être entendus (presque autant que le nombre de victimes) dont 73 sont convoqués par le procureur. Les cinq scientifiques mis en examen sont des personnalités reconnues. Il y a le président de la Commission, Enzo Boschi, à l’époque à la tête de l’Institut national de géophysique et de vulcanologie (INGV); Giulio Selvaggi, directeur du Centre national des séismes de l’INVG; Franco Barberi, géophysicien de l’université de Rome ; Claudio Eva, physicien de l’université de Gênes, et Gian Michele Calvi, directeur d’Eucentre, un centre de formation et de recherche sur l’ingénierie antisismique. Accusés à leurs côtés figurent Bernardo De Bernardinis, numéro 2 de la protection civile italienne, une structure dépendant directement de la présidence du Conseil, chargée d’organiser les premiers secours, mais aussi les travaux liés à la prévention et même à la reconstruction après les sinistres, et Mauro Dolce, directeur du département des risques sismiques.

En ce début 2009, alors que la direction de la protection civile s’inquiétait de la sécurité du sommet du G8 prévu alors sur l’île de La Maddalena, au nord de la Sardaigne, les sismologues, eux, étudiaient avec attention l’évolution des tremblements telluriques qui secouaient la région depuis décembre, sans pour autant annoncer un séisme majeur imminent, aucune mesure scientifique ne permettant de faire ce genre de prévisions. Mais voilà qu’à la mi-mars, Giampaolo Giuliani, technicien au laboratoire souterrain du Gran Sasso, tout proche de L’Aquila, assure dans les médias qu’un grand séisme va survenir à Sulmona, une ville située à 60 kilomètres de la cité. Il fonde sa prédiction sur une forte hausse d’émission de radon dans la région, enregistrée par des instruments de sa fabrication. Ces mesures sont, estime-t-il, un indéniable signe d’urgence. Giuliani n’a jamais publié d’article scientifique sur cette corrélation. Pour les sismologues, il n’a aucune légitimité. Mais la population panique. Et les autorités aussi : il faut démonter l’imposture, et vite. Guido Bertolaso, le patron de la protection civile, va même jusqu’à porter plainte contre le technicien pour «alarmisme» suscitant l’affolement public. Le maire de L’Aquila, inquiet, ordonne néanmoins la fermeture de toutes les écoles, et fait pression sur Bertolaso pour qu’il convoque, dans sa ville, une réunion exceptionnelle de la Commission aux risques majeurs. Sa mission : faire la lumière, scientifiquement, sur la situation.

Quelle a été la responsabilité des scientifiques réunis le 31 mars dans les messages apaisants qui ont circulé ?«Je ne sais pas de quoi ils ont parlé pendant cette réunion, continue Parisse. Mais cela n’a duré qu’une heure. Ont-ils eu vraiment le temps de traiter le sujet ?» Que s’est-il dit, en effet, lors de cette réunion dont le procès-verbal n’a été signé que le 6 avril dans l’après-midi, douze heures après la tragédie ? Enzo Boschi, le président de l’INGV, y affirme prudemment : «Il est improbable que survienne à court terme un tremblement de terre comme celui de 1703 [6 000 morts, ndlr] mais la possibilité ne peut pas être totalement exclue.»

Une conversation téléphonique entre le géophysicien Franco Barberi et Guido Bertolaso, interceptée par la police et portée au dossier, éclaire l’état d’esprit de la commission. Ce scientifique, en route vers Rome, déclare au patron de la protection civile : «Je crois que nous avons été clairs sur l’impossibilité de prévoir un tremblement de terre et donc sur le fait que [les messages de Giuliani] sont totalement dénués de crédibilité, sans compter une évaluation de la situation qui, en somme, me semble (hésitation) très bien.» Le fait est que, à la sortie de la réunion, Bernardo de Bernardinis lâche, devant les caméras : «Plus la terre tremble, plus elle libère de l’énergie. Cela devrait se calmer. Je dirais : "Rentrez chez vous et dégustez un bon verre de montepulciano."» Ce discours tragiquement rassurant, qui n’est conforté par aucun des propos rapportés par le procès-verbal, est encore visible sur You Tube… Les secousses continueront encore, et plus.

Quelques semaines après la catastrophe, la population dévastée s’interroge sur les responsabilités. Parisse est rédacteur en chef du Centro, le quotidien local. Il se sent doublement coupable d’avoir relayé l’information officielle et d’avoir vu l’aile de sa maison (construite selon les normes) s’écrouler sur sa famille. Il est bientôt contacté par Vincenzo Vittorini, chirurgien, et Massimo Cinque, médecin. Le premier a perdu sa femme, le second son épouse et ses deux enfants. Tous deux veulent engager une procédure pénale contre la commission d’experts, et faire en sorte que le monde entier en parle. Ils ne sont pas les seuls. C’est ainsi qu’en mai dernier, ils obtiennent gain de cause : un procès s’ouvrira en septembre.

La bataille s’annonce rude. Samedi 1er octobre, dans la salle d’audience comble, Marco Billi écoute, stoïque, la défense. La bordée d’avocats de renom (dont Alfredo Biondi, l’ex-ministre de la Justice) menée par Carlo Sica, le représentant légal de la présidence du Conseil, pinaillent. Après quatre heures, l’audience est renvoyée au 15 octobre. Motif ? La chancellerie n’aurait pas fourni à la défense tous les éléments de l’instruction, dont le DVD du documentaire de Sabina Guzzanti Draquila (qui dénonce les rapports complices entre Berlusconi et Bertolaso, mis en examen en 2010 pour corruption et détournement de fonds publics). «Si vous voulez, j’apporte le graveur que j’ai chez moi», a ironisé le substitut du procureur, Fabio Picuti, auteur d’un dossier à charge de 224 pages.

«Insister sur la dangerosité»

«J’aurais préféré qu’ils soient aussi pointilleux le soir du tremblement de terre», lance le chirurgien Vincenzo Vittorini, président de l’association 309 Martyrs.Non loin de lui, les nombreux avocats des parties civiles n’ont rien de stars. Des familles sont venues regarder dans les yeux les accusés, en l’occurrence les membres de la protection civile. Aucun des scientifiques mis en examen n’était présent à cette audience. Ils ont le soutien de 4 000 chercheurs italiens et étrangers qui ont adressé unelettre ouverte au président de la république italienne réaffirmant l’impossibilité de prédire la catastrophe.

La question pendante est celle d’une négligence. Gaetano de Luca, sismologue travaillant aujourd’hui à l’INGV à L’Aquila, qualifie les communiqués de la réunion de «légers». «Personne ne peut prévoir un tremblement de terre, mais les scientifiques présents auraient dû insister sur la dangerosité de ce qui se passait ici. Je n’avais jamais vu une série de secousses telles de toute ma carrière, assure-t-il. Les experts se sont focalisés sur l’affaire Giuliani. La population a compris qu’il avait tort, et chacun en a déduit qu’il n’y aurait pas de tremblement de terre.» Spécialiste de la sismologie de la région, il relève en outre que «la prévention est aussi l’affaire des maires, des présidents de région et de province. Pourtant, ils ne sont pas au procès». Pas encore.

Pour le professeur Domenico Giardini, qui a remplacé Enzo Boschi à la présidence de l’INVG, le problème crucial est celui de la communication sur les risques : «Comment réussir à rendre compréhensible des données scientifiques complexes comportant autant d’incertitudes ? Comment les livrer à la protection civile qui, elle, doit retransmettre un message simple ?» Le professeur reconnaît que, s’il avait perdu ses enfants, il aurait peut-être lui aussi porté plainte. «Nous sommes tous préoccupés. Ils risquent quinze ans de prison. Il faut maintenant qu’il y ait une prise de conscience sur plusieurs fronts. Car il y a eu des morts à cause d’un message erroné.»

Demain, à 9 heures, la troisième audience du procès de L’Aquila devrait permettre d’entendre pour la première fois des témoins. A moins que la défense déploie, une nouvelle fois, ses talents procéduriers.

Photos Claudio Vitale

source :
http://www.liberation.fr/monde/01012365565-a-l-aquila-la-science-secouee
 
Peu de temps après s'ouvrait le G20 en Italie, les membres sont venus sur place se rendre compte de l'état des vestiges... le lieu devrait devenir un nouveau site touristique selon les autorités gouvernementales. Le G20 doit s'ouvrir dans les jours qui viennent à Cannes, autre lieu qui fut marqué par des catastrophes naturelles avec les raz-de-marée successifs comme je l'ai noté dans un précédent article... Bizarre !  

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire